Numéro
1 : LES BONUS
Un
peu sonnée, je fis ma liste. A priori, cinq ennemis. Cinq Nemesis
dont je connaissais les points faibles. J'ai commencé par le plus
évident, les bonus. On a toujours été très
amis, et une fois arrivée sur leur perron, ils m'attendaient déjà.
C'était comme un échauffement pour moi, il n'y a pas cent
façons de tuer un bonus. J'ai jeté en pâture tout
ce que j'avais, après tout je n'avais pas grand-chose à
craindre de cette première confrontation. Des récompenses,
des clips, leur making-of, des backstages, des fans qui piaillent... Ce
fut presque trop facile. Je tâchais cependant de garder des chances
de mon côté : par exemple sur un road movie de 53 minutes,
donc bien trop long, j'avais placé le maximum d'images des pays
visités. Ca change des conneries dans les chambres d'hôtels.
De même pour un petit documentaire où j'ai aussi placé
un court historique de mon groupe. Je me suis même frisé
les cheveux, je sais que Baker adore ça. Manque de pot, je suis
une des rares jeunes femmes que ça n'embellit pas particulièrement.
Pas grave, tout le monde a dit du bien de moi, de ma beauté, et
de mes robes. Surtout dans la seconde moitié, lorsque la mariée
était en noir... Au final, le combat a été particulièrement
long, mais je m'en suis tirée avec à peine quelques égratignures.
De quoi réveiller en moi le goût du sang. J'en ai aussi profité
pour demander à notre bassiste ce qu'il avait pris pendant les
TMF Awards, parce que ça avait l'air de bien fracasser.
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Numéro
2 : LE SHOW
J'attaquai
alors le premier ennemi réellement dangereux. Baker lui avait tout
appris : l'art du playback, les arrangements mous, le sort de Fausse Ambiance,
le décor rococo, les coupures nettes, et même comment briser
un coeur avec un doigt (le majeur). C'était, je l'avoue, ma plus
grande crainte après Baker, l'ennemi traître, celui contre
qui je risquais de laisser le plus de plumes, voire la vie. Le concert.
Certes, une foule déjà conquise était là pour
faciliter ma victoire, mais j'avais appris à les ignorer, à
rester "dans ma bulle" comme disait ma copine Diam's, une autre
chanteuse lyrique. Je bandai mes forces et me jetai corps et âme
dans la bataille. J'ai mis toutes les chances de mon côté,
utilisé toutes les armes, toutes les techniques, et le combat fut,
tel Saw VI, une boucherie sans nom.
C'est
que je n'ai pas fait les choses à moitié. Quand je parlais
d'orchestre symphonique, j'ai mis le paquet. Un orchestre énorme,
rutilant, au son ample et précis, que je n'ai pas hésité
à solliciter le plus possible : des cordes, une harpe, une chorale
somptueuse m'évitant de réutiliser mes propres bandes, et
des cuivres, oh oui, de gros cuivres bien Wagneriens que je n'ai pas hésité
à balancer à toutes les sauces. De l'ouverture mégalomaniaque
à un Ice Queen pompeux comme pas deux, je n'ai pas laissé
l'ennemi souffler un seul instant. Ah tu n'aimes pas le dernier album,
chacal puant ? Tiens, prends-toi ces nouvelles orchestrations dans ta
gueule ! Et je t'achève avec All I Need à faire chialer
le port de Dunkerque ! Tu n'as pas aimé l'intermède acoustique
avec ballades ? Attends, je change de costume de combat, après
tout c'est la black symphony ! Wayaaaa ! Mawashisolemnhour dans ta face
!
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Et
comme le lion ne s'associe pas avec le cafard, j'ai balancé aux moments
cruciaux quelques alliés : Keith Caputo pour un duo bien tubesque,
du growl pour rappeler les vieux jours (les sentiments, dans un duel, ça
compte), et au moment où on pense que ça devient mou, je sors
l'arme ultime : ma vieille copine Anneke. Avec les frissons dans l'assistance,
j'ai vite compris que la victoire était proche. Un dernier Ice Queen
avec de nouveaux arrangements de porc, et je suis sorti vainqueur
vainqueuse vaincrice indemne. J'ai aussi rajouté quelques
éléments pour faire joli : une scène magnifique avec
des fumigènes et des flammes partout, les choristes habillés
en moines gothiques, et un écran géant tellement époustouflant
que pendant la première chanson, on ne sait pas que c'est
un écran. On pourra me reprocher d'avoir axé 85% du set sur
les deux derniers albums, mais avec cet orchestre vibrant, cette sensation
d'énormité dans le moindre détail, cette perfection
dans le spectacle, mon ennemi se prosterna à genoux devant moi, en
larmes et tremblant comme les 10.000 spectateurs de l'Ahoy. Victory is mine
! The battle has raged in the plains of Lothril and of Ushagark and of Utarg
and of Targ and of la Hollande. I want dawn. Ennemi suivant. |
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Numéro
3 : L'IMAGE ?
J'ai
une vieille affaire à régler avec l'image. J'avais la sale
impression que jusqu'à présent, c'était un borgne
qui s'en occupait. J'ai roulé pendant des jours pour arriver au
studio de post-production, je voulais le meilleur. Ce sont donc des Belges
qui s'y sont collé. On se fout d'eux, mais ils sont bons, les Belges.
Il y a toujours eu des reproches sur mon image, même chez mes anciens
amis : premier DVD pas en 16/9 et de jour (je ne vois pas ce qui les choquait),
second avec une lumière et des couleurs hideuses. A peine l'image
débarquée devant moi, je sortis le sabre magique, fin, tellement
fin, mais si tranchant... 1080 points de suture par coup donné.
Pour me donner du fil à retordre, je devais en plus m'occuper de
l'associé de l'image : le Blu-Ray, un nouvel ennemi jeune mais
très sournois, sans pitié. Je les ai pulvérisés
tous les deux. Munie d'un nombre impressionnant de caméras numériques,
j'ai balancé un montage dynamique, des couleurs incroyables, un
piqué ahurissant de précision. J'ai eu du mal à tout
faire rentrer dans mon petit disque argenté, d'où des carrés
là où j'aime tant les rondeurs, mais l'image a vite succombé.
Sur le disque bleu, celui de la Connaissance Sacrée, j'ai même
pu augmenter la qualité pour en faire un produit sinon perfectible,
du moins largement digne de ce nom. Fallait pas me chercher. Bon, on a
tendance à ne voir un peu trop que moi, moi et moi, mais après
tout, ce groupe, c'est moi, nom d'une pipe ! Le corps meurtri de mon opposant
glissa le long de la falaise et bien que je ne pus voir son cadavre, je
pensai être sortie une nouvelle fois triomphante et continuai ma
route. Je garde quand même en mémoire le nom du monteur qui
a massacré les parties "harde roque" avec des effets
de merde qui font exploser la compression du disque argenté, et
même trembler le disque bleu - et pourtant il faut le faire. Ce
gars-là, s'il recommence, il goûtera à ma lame.
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Numéro
4 : LE SON
A
pas feutrés, je marchai derrière des paravents recouverts
de boîtes d'oeufs. Je savais que Baker m'attendait sur ce coup-là.
Il a toujours défendu le son avec ardeur, et lui appris tous les
tours de cochon possibles. Là, il fallait me concentrer. Le son,
c'est capital. Un ennemi redoutable, d'autant plus qu'on se connaît
bien. Lui et moi, on a toujours vu les choses en grand. L'image ayant
été assassinée, du moins selon mon intuition, je
devais profiter de cette force intérieure pour régler son
sort au mixage avec encore plus de violence. Cela me donnerait la force
nécessaire pour affronter Baker.
Soudain,
le paravent se déchira et 88 sons différents vinrent m'assaillir.
Damned ! Prise au piège étais-je ! En effet, si mixer 6
musiciens était compliqué, mais dans mes cordes (ah ah),
j'avais affaire ici à une grosse centaine de pistes différentes.
Je ne me laissai pas décourager. Je sortis le sabre, une magnifique
lame de 96 centimètres par 24, et je décapitai tous ces
félons méthodiquement. Pan ! Paf ! Poum ! Je les envoyai
aux quatre coins de la pièce avec une force et une précision
très rarement entendues dans un DVD live. Dès les premières
minutes, les cuivres (énormes) et les choristes mâles se
retrouvèrent au fond, tandis que tous les autres s'éparpillaient
avec un sens du placement qui m'a laissée béate. Au final,
malgré le côté massif et grand-guignolesque de mon
combat, chacun pourra délimiter dans l'espace le moindre instrument,
renvoyant le "Score" de mes amis Dream Theater aux orties. J'ai
même donné une fessée au clavier que l'on n'entend
du coup pas du tout à part au piano. Fière de moi, j'assennai
le coup fatal avec le "Blu-Ray en PCM non compressé",
une arme de nouvelle technologie meurtrière quand elle est bien
utilisée. Une fois le concert terminé, le son tomba lentement
à genoux, dans la neige, la boîte crânienne tout aussi
explosée que celle des auditeurs, et le cerveau mis à nu.
Je souris en pensant à Baker, qui ne devait plus être très
loin : il paraît que les cervelles à l'air, ça le
connaît bien.
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INTERLUDE
: LE CONCERT BONUS
C'est
alors que j'arrivais près du but que j'ai failli mourir une seconde
fois. Dans mon élan de générosité, j'ai baissé
ma garde et offert à nos fans un second demi-concert, gratuit.
Je ne me doutais pas qu'il s'agissait du sixième ennemi, dont j'ignorais
l'existence, bien que Baker m'en ait déjà longuement parlé.
Emportée par mon enthousiasme, j'avais cru m'en sortir à
bon compte : son toujours énorme, une vieillerie du premier album,
écran géant et pyrotechnie comme à l'Ahoy, et une
image encore meilleure ! Las... Je n'avais pas compris que réutiliser
les bandes orchestrales de l'album signifiait revenir au côté
deshumanisé et trop poli de Silent Force. Beaucoup de nouvelles
chansons, un clavier ne servant strictement à rien, gimmicks de
scène, on revenait au Within Temptation joli mais sans âme,
sans foi, ne comptant que sur le spectacle pour rameuter les fans, ne
prenant aucun risque. Une balle dans le pied qui s'infecta lorsque le
spectateur fût pris de baîllements. Heureusement la perfection
de l'image, les tubes hurlés par la foule et la durée raccourcie
de moitié vinrent me sauver. Une fois remise d'aplomb, je m'enfuyai
loin de ce live pré-cuisiné et pré-mâché,
me maudissant de ne pas avoir utilisé un concert plus intime en
Amérique du Sud comme on en voyait dans les bonus, voire un vrai
unplugged. Moins de pyro, plus de celtique, plus de guitares, plus de
vieilles chansons, du growl (du vrai, pas mon mari), et plus aucun sample
: voilà ce que j'ai appris après m'être pris une volée
de gros sel dans le cul. J'espère m'en souvenir pour plus tard.
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Numéro
5 : BAKER
La
porte s'ouvrit lentement. Couverte de sang, j'avançais dans le
couloir, intriguée par le silence. Au mur, un poster du DVD de
Kamelot qui pourrait faire penser que Baker avait déjà fait
son deuil de Within Temptation. C'aurait été plausible.
Mais je sus qu'il ne m'avait pas oubliée dès que nos regards
se croisèrent. J'aurai pu sortir mon sabre et le découper
en tranches sur le champ (NDKaworu :
Et y'aurait du boulot). Il aurait pu faire de même. Au
lieu de cela, nous nous sourîmes, malgré nous. Il me proposa
un thé au jasmin et miel pour ma voix, un whisky pour lui (what
else ?), et au lieu de nous entretuer, nous bavardâmes.
"Tu
te rappelles ? Le neuf sur dix de Mother Earth Tour ?". Bien
sûr, lui murmurais-je. On n'oublie jamais son premier amour. Le
temps semblait se figer, notre méfiance semblait éteinte.
Je lui passai le Blu-Ray et pendant deux heures, ses yeux s'embuèrent.
"Tu
vas vraiment descendre le 5.1 de Silent Force ?" m'enquis-je,
presque suppliante.
"Je
le dois", dit-il dans un sourire triste. "C'est mon métier,
tueur. Je ne sais faire que ça".
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Le
moment était propice pour la bataille, mais aucun de nous n'avait
la force de bouger. Nous testions nos passés respectifs et communs,
dans une reposante quiétude.
"Tu
as eu raison de faire ce DVD finalement", lâcha-t-il presque
soulagé d'avoir perdu. "Il est exceptionnel à plus
d'un titre. J'adore comment tu as filmé les fans après le
concert. Au lieu de les faire gesticuler comme des macaques, comme d'habitude,
tu leur as volé les instants de solitude qu'on connaît tous
après un bon concert. Certains se mettent même à pleurer,
tellement ils ont été émus, et tristes que ça
soit déjà fini. Le boitier est beau, le livret est beau...
tu es belle", finit-il dans un murmure.
Un
long silence pesa sur la maison. "Tu admets donc que Within Temptation
est encore capable de sortir un DVD musical digne des tous meilleurs ?"
Il
ne répondit pas. Son regard était plongé dans le
vide. Une goutte de sang perla de sa lèvre inférieure. Je
quittai la maison sans un bruit, le laissant derrière moi, sans
le regarder. Je ne sais pas s'il est mort. Je ne sais pas s'il sait s'il
est vivant. Je repris la voiture et, dans un vrombissement de moteur,
continuai mon chemin, sans trop savoir où aller. Mais quelque soit
mon destin, j'ai désormais sur moi une arme. Elle s'appelle Black
Symphony. Et elle est mortelle.
09-02-2009
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