"Mais
c'est d'la meeeeerde !" répétait à l'envi un certain
Jean-Pierre Coffe. Le même Coffe qui, paré d'une réputation
d'Attila de la gastronomie, choquait les esprits passéistes lorsqu'il
affirmait que les produits congelés n'étaient pas de mauvaises
choses car, selon ses propres termes, "congelez un truc bon, il ressortira
un truc bon" (ce avec quoi je suis d'accord, il n'y a qu'à goûter
certains plats de chez Picard, pour faire de la pub à une boîte
injustement décriée). Le plus important là-dedans est
de ne pas briser la chaîne du froid. Mais surtout, le piège
fatal, ce sont les plats congelés faits pour être mangés
froids (pain surprise, gazpacho, vengeance...). Réchauffez-les trop,
ils deviennent immédiatement dégueulasses ; pas assez, vous
tomberez malade à coup sûr. C'est pourquoi il est si regrettable
que le cas de Céline Dion, donnant ici les premiers concerts de "variété/rock"
au Stade de France fraîchement construit, conduise au disque décevant
qu'est "Au cur du stade", car quitte à n'avoir qu'un
fumet très chiche, au moins aurait-on préféré
briser cette chaîne du froid. |
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Quand
on parle de chanteuse de variété, Céline Dion en
représente la quasi-quintessence, et ce de façon internationale
puisqu'elle mène une double carrière aux USA et en France.
Tous les poncifs du genre semblent cristallisés dans ce petit bout
de femme dont le public type est relativement proche de celui de son ami
Michel Drucker, public donc assez grand pour remplir le Stade de France,
jusqu'à 80.000 places en serrant les coudes. Du reste, le projet
était alléchant : une des chanteuses les plus connues au
monde, donnant un spectacle dans un énorme stade et devant "son"
public, et en prime alternant tubes en français et en anglais.
Au final, on retiendra avant tout la fadeur et la froideur de ce qui fût
pourtant considéré comme l'évènement musical
de l'année. Parrainé par NRJ et TF1. Oui, on aurait dû
se douter de quelque chose...
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Les
musiciens, d'abord. Apparaissant mais surtout disparaissant sous une scène
à géometrie variable très bien fichue (et changeant
à chaque chanson), ils sont incroyablement doués. Ils ont
une précision de tous les diables, un savoir faire bluffant, un
éclectisme bienvenu (passer de Goldman à Horner en passant
par du r'n'b le requiert). Les verra-t-on ? Pas trop (on y reviendra)
mais assez pour s'assurer qu'il n'y a pas de playback (ou alors il est
magnifique !). Les entendra-t-on ? Là est l'autre problème.
La prise de son des instruments est totalement exceptionnelle, surtout
provenant d'un stade gigantesque. Le moindre balai sur les cymbales, le
moindre glissé sur une basse, la moindre erreur sur un obscur synthétiseur
en fond sonore s'entendent de façon parfaitement distincte. Hélas.
Car côté mixage, il n'y a pas un poil de cul qui dépasse
: tout est épouvantablement lisse, raboté, les fréquences
sont délimitées type mur de Berlin, les grosses guitares
font "miaou" et les cuivres font "poin poin" : en
un mot comme en cent, tout est fait pour que l'attention se porte sur
Céline, et rien qu'elle, et évidemment hors de question
de réveiller le téléspectateur avec une note qui
dépasserait. Même des Mariah Carey ou des Isabelle Boulay
ont des musiciens plus vivants : ici, malgré l'exceptionnelle qualité
musicale, on a la pénible impression d'entendre un album studio.
De Céline Dion, en plus.
Céline
qui elle aussi n'est pas exactement la showgirl de nos rêves. Vocalement,
rien à redire, elle est par-fai-te. Pas un mot de travers, elle
mérite vraiment son succès au vu des efforts qu'elle déploie
et du résultat impeccable. Les transitions entre les chansons seront
bien moins convaincantes : monologues interminables sur René, remerciements
qui peuvent paraître complaisants, contact humain trop monolithique,
et puis la grosse faute de goût, au milieu d'une garde-robe changeante
et plutot sympathique : endosser une robe type maillot de foot est vraiment
une façon bien arriviste de se mettre dans la poche la frange la
plus basse d'un public.
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Ah
ben tiens, parlons-en de celui-là. Non content de montrer au grand
jour la moyenne de son QI en ovationnant une connerie de maillot, comme
si leurs rétines voyaient la couleur bleue pour la première
fois, ledit public n'est là que pour Céline. Pas ses chansons,
hein : elle reprendrait Blackwater Park d'Opeth ou Phallus C d'Osibisa
qu'il s'en foutrait, ce brave public. Il est là pour applaudir
entre les titres, voire verser une petite larmichette, mais les chansons
ne sont clairement pas sa priorité. Comment alors s'étonner
de la présence au milieu du set d'une espèce d'horreur rapcaille
wesh-wesh d'un mauvais goût immonde, qui vocalement lui sied comme
une nuisette a un papillon, et qui, avec l'épisode du maillot,
fera de ce DVD une aubaine pour les détracteurs de Céline
qui ne veulent voir en elle que ses défauts ? Bref, un public très
nombreux, mais qui paradoxalement achève de faire du concert un
happening glacial. Achève ? Non. Gégé va s'en charger.
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Parce
que sur ce coup-là, vous avez un best-of de tout ce qui fait la réputation
de Gérard P. en tant que réalisateur de films musicaux. Certes,
on l'a vu, la mise en scène est très réussie malgré
le côté (faussement) dépouillé, et le montage
n'arrive évidemment pas à louper les lumières grandioses,
les petits détails, les costumes. Pour le reste, accrochez-vous :
les faux flous sont légion, l'image entière passée
comme dans un voile pas lavé depuis les Mérovingiens, et le
pire de tout, Pulli s'amuse, à travers moults filtres, à esseuler
Céline "au cur du stade", rendant invisibles le public
et les musiciens. N'est-ce pas merveilleux ? On a un live avec 80.000 spectateurs
qui sonne effroyablement vide, et pour assaisonner le tout, Gégé
isole la chanteuse ! Résultat : ce n'est plus un frigo, ce DVD, c'est
Antarctica, sauf qu'on a remplacé Vangelis par David Foster. Le son,
les chansons, bref la musique manque cruellement de personnalité,
tandis que l'image, elle, en déborde, de la dernière personne
à qui on voulait avoir affaire ! |
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On
a vu que la prise de son était bluffante, quid du son par lui-même
? Eh bien le DVD n'offre qu'un Dolby 5.1 et rien d'autre. Les possesseurs
de stéréo vont bien sûr faire la gueule : les drops
de volume sont récurrents et tout est mis à plat, sans aucune
dynamique. Le 5.1 par lui-même n'a vraiment rien d'exceptionnel
: quasi-aucune spatialisation des instruments, seulement du public, quand
icelui n'hiberne pas. La réverb du stade est la seule chose qui
squattera durablement vos enceintes arrières, et là encore,
ça ressemble plus à un studio qu'à un stade de 80.000
personnes. Les bonus sont eux plus drôles. Enfin, ça dépend
de quel côté on se place. D'abord un karaoké du medley
acoustique de vieilleries. Très fort, le karaoké : ils n'ont
pas supprimé la voix ! J'en fais autant, hein. Ensuite, "les
coulisses de l'enregistrement (mais duquel ?) ", deux making-of...
qui n'ont RIEN à voir avec le spectacle, puisque ce sont deux making-of
de ses (alors) deux derniers albums.
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Et
là aussi, même si on les prend comme ce qu'ils sont réellement,
à savoir des... bonus, tout n'est pas rose. Le gros morceau est l'album
Let's Talk About Love, qui réunit un casting ultra-prestigieux (Pavarotti,
Streisand, Foster, Bee Gees...). 56 minutes, qu'il dure. Et ce n'est pas
qu'il soit ennuyeux ou inintéressant, ni même qu'il manque
d'humour, mais sur 56 minutes, vous n'avez pas UN plan sur un musicien.
Ainsi ce cancer de la musique qui consiste à ne considérer
QUE les chanteurs n'est pas un mal purement français. C'est honteux
: à part deux producteurs qui mettent la main au piano, et encore
juste des balbutiements, vous n'avez rien, ni basse, ni guitare, ni batterie,
tous ces instruments du Malin qui pervertissent notre belle jeunesse. Ca
en dit long, pas vrai ? |
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Le
making-of de l'album français sera un peu meilleur à ce
niveau, tout en restant superficiel, la faute à un manque de fil
conducteur, les passages intéressants étant jetés
en pâture à la volée. Rien d'autre, pas d'explication
sur la construction de la scène (un timelapse n'est pas un making-of,
c'est juste un gadget amusant), sur le choix de la setlist ou autre, rien
pour réhausser le niveau d'un DVD plein de promesses mais lisse,
désespérément lisse. C'est un constat qui paraît
amer, mais soyons réalistes : ce n'est pas comme si Céline
n'avait que ce DVD en guise de dernières cartouches à griller.
Loin de là, tabernacle et caribou !
15-02-2008
PS
: René vô bieeeeen !
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