Un groupe exceptionnel, une pêche irrésistible, une des meilleures introductions au jazz ayant jamais vu le jour |
Note globale |
La mise en images vraiment discutable |
Editeur
: ACT
|
Durée
totale : 2 h 03
|
- Image PAL |
Mini-livret
avec toutes les durées exactes. Putain ça fait
du bien. |
Entre plans réussis et éthérés, et bizarreries diverses, le concert se veut "arty" alors que la musique d'E.S.T. est tout sauf prétentieuse. D'où clash. Les quinze dernières minutes mériteraient presque de descendre à 4. | ||
Mélange de son un peu sale et de superbes détails (indispensables). Le surround est bien plus qu'une simple spatialisation du public (qui aurait déjà été excellente) : on vit à l'intérieur de l'instrument. Pas parfait, mais osé. | ||
Ca pioche un peu partout, c'est d'un naturel insolent, et c'est d'une durée presque parfaite, pour ne pas lasser. Idéal pour s'initier au jazz. | ||
Clips, galerie, interview : pas original mais sympa en diable. Manque de sous-titres mais leur anglais est... accessible. Pour rester courtois ^^. |
Dans notre grande série "décortiquons le politiquement correct", répétez après moi : "je n'aime pas le jazz". Difficile, hein ? Pour beaucoup, ce ne sera pas évident de balancer de but en blanc. Pourtant, quelle honte à avoir ? C'est tout à fait possible de ne pas aimer le jazz, on en a totalement le droit, c'est d'ailleurs le cas de l'un de nos rédacteurs dont je tairai le nom pour éviter des représailles. Et comme c'est bel et bien de politiquement correct dont on parle, des études de moeurs poussées auprès de vos amis, de vos collègues, de votre famille montreraient certainement que bien d'entre eux, sans oser le dire, ne seraient pas gênés le moins du monde s'ils ne pouvaient plus jamais écouter un titre de jazz de leur vie. Et pourtant, ce style musical est toujours aussi représenté, sa scène toujours aussi vivante. Il doit donc bien y avoir des portes d'entrée, pour que de nouvelles générations s'y engouffrent ainsi et fassent perdurer la flamme, pas pour se montrer politiquement correct (sinon le cycle de vie serait déjà fini), mais parce que simplement ça plait. Et comme portiers de luxe, unanimement à travers le monde, les suédois d'E.S.T. considérés étaient. | |
Ce
live a donc été enregistré à domicile, en
l'an de grâce 2000, soit un peu après l'explosion de leur
carrière, médiatique comme pécunière. Songez
que même des journaux généralistes parlaient par à
coups d'E.S.T., eux qui d'habitude n'ouvraient leurs pages au jazz que
pour rappeler que Miles Davis était mort, que John Coltrane n'allait
pas très bien, et que Stéphane Grappelli était un
génie pionnier du genre parce que merde, on est français,
quoi, môssieur ! Concerts pleins, apparitions décontractées
dans les médias, aucune prise de tête, et surtout public
très hétéroclite : qu'est-ce qui faisait qu'E.S.T.
galvanisait ainsi les foules, et réussissait à amener des
tas de gamins au jazz ? Après tout, sur le papier, il s'agissait
d'un bête trio piano / contrebasse / batterie, comme il en existe
des dizaines. Peut-être était-ce leur jeune âge ? Leur
amitié décénnale ? Le fait de venir de Suède,
pays réputé pour sa scène metal mélodique
et ses musiciens frondeurs ?
|
|
Toujours est-il qu'en une poignée de minutes, on comprend vite ce qui faisait du groupe un incontournable de la scène, voire des scènes. Un peu de mélodies pop, de l'improvisation qui n'oubliait pas l'humour, de la recherche sonore, quelques éléments arabes ou andalous, et surtout, beaucoup d'énergie : loin du trio appliqué qui surveille ses gammes de près, E.S.T. était un groupe de punks à peine assagis qui faute de démolir leurs instruments voulaient mettre le feu à la scène. Et qu'ils y arrivaient bien ! Le pianiste, bien que leader officiel du groupe, ne tirait que rarement la couverture à lui, laissant s'exprimer en vedette un bassiste digne de Hammerfall dans l'esprit, et un batteur qui au contraire savait se montrer discret et rester à sa place en évitant les épanchements inutiles inhérents au style... sauf quand il fallait envoyer le bois. Et ces gars n'avaient peur de rien ! Intrépides Indiana Jones scéniques, ils osaient toutes les fantaisies : piano pincé façon harpe, contrebasse passée à la pédale wah-wah (quel son gras !), voire à la pédale de disto, batterie martyrisée ou au contraire caressée comme un feulant félin, rien ne vous sera épargné. | |
Et
on en redemande. Chaque intro, une fois développée, était
copieusement applaudie - et il y avait de quoi. Les bribes de mélodies
accessibles étaient les prétextes à tous les délires
possibles, avant et après - tandis que pendant, E.S.T. se comportait
plus comme un groupe de straight rock, ce qui ne manquera pas de faire
grincer des dents les puristes, mais ravissait le public. D'ailleurs,
ledit public était à la hauteur des attentes : indiscipliné,
chaud et rigolard, chacune de ses ovations était méritée,
pas par la grâce de la technique (Svensson n'était vraiment
pas un nain !), mais comme souvent en jazz par la façon dont le
groupe nous emmenait vers un point culminant. Il se trouve que sa formule
magique lui permettait d'y accéder plus vite, et presque sans effort.
Très court, un peu trop même, ce live à Stockholm
sera probablement la seule opportunité de découvrir le phénomène
dans son élément, et il y a fort à parier que vous
le regretterez pas. Porte d'entrée, qu'on vous disait.
|
|
Le DVD présente qualités et défauts. Les puristes du son seront déçus d'entendre un peu, voire beaucoup de bruit de fond. Ce qui ne nuit pas à la précision de la prise de son, car les nombreux détails sonores sont bien captés. Le 5.1, outre une fantastique spatialisation de ce public de gais-lurons, propose aussi quelques effets arrières et un piano très présent, pas un disque de démo (le bruit de fond étant amplifié en surround) mais ajoutant au captivanisme de l'ensemble. Captivanisme signifiant "qui aide le spectateur à être captivé" (NDArthur : Ben voilà, vous dites ça. En fait faut plus que vous écriviez. Je veux plus vous voir parler aux gens). La mise en images sera beaucoup plus sujette à discussion. Outre un grain énorme, des couleurs baveuses et beaucoup de pénombre, les caméras se sont aussi amusées à faire dans l'expression artistique, et vous ne verrez à l'écran qu'environ 40% de ce qui est joué, le reste étant lents panoramiques et faux arrêts sur des détails, parfois surprenants, souvent frustrants. On finit par s'y habituer, avant les rappels qui eux sont à la limite du regardable (visiblement les caméramen ne s'attendaient pas à filmer plus longtemps). Des visages et des doigts ont de quoi plaire aux afiçionados, mais l'ensemble est plutôt décevant. | |
Viennent
en bonus deux clips (dont un quelque peu arty mais avec une idée
adorable : la "chanteuse"), une discographie excellente puisqu'avec
extraits (ça devrait être obligatoire pour tous les artistes),
une galerie photo tout aussi bonne où l'on découvre que
loin de l'hermétisme d'un Keith Jarrett, Esbjörn et ses deux
potes étaient des fêtards picrateurs à faire rougir
Iron Maiden de honte. C'est aussi ça, la scène suédoise.
Impression confirmée avec une interview, non sous-titrée
mais facilement compréhensible, de nos super-héros rigolards
et d'une humilité touchante. Une de ces interviews dont on regrette
la courte durée, un peu comme le concert, preuve ultime que l'on
se sentait bien avec ces zozos nordiques. On regrettera d'autant plus
les défauts, qualité d'image en tête, car en l'an
2000, rien, absolument rien ne semblait pouvoir arrêter cette force
tellurique du jazz contemporain.
|
|
Rien ou presque. Cet article est à l'imparfait car la vie l'est tout autant. Imparfaite. En 2008, Esbjörn Svensson trouvera la mort lors d'un accident de plongée à l'âge stupidement juvénile de 44 ans. Le monde du jazz mettra du temps à s'en remettre. Pour tout dire, la cicatrice n'est pas encore refermée. Et ce DVD restera donc désormais la seule façon d'apprécier l'intensité diabolique d'E.S.T. en live. De l'imparfait partout sauf dans le dernier paragraphe qui privilégie le futur, parce qu'avec le torrent d'amour et de talent que Svensson a ouvert en l'espace de quinze ans à peine, il ne nous reste plus qu'à surveiller les jeunes pousses que sa graine a semé. Et merde, tomber dans la pleurnicherie alors que E.S.T. n'aimait rien tant que rire !!!
PS: Merci à Frédéric pour la découverte ! |
10 décembre 2000 - Nalen (Stockholm, Suède) |
01.
Good morning Susie Soho |
Esbjörn
Svensson - Piano
|
Dan Berglund - Contrebasse |
Magnus
Oström - Batterie
|