Film culotté, important, enfin en entier, musique tout simplement excellente (même si son inclusion est assez confuse)

Note globale


(Entre 1 et 9 selon vos affinités artistiques)


Un DVD qui pète parfois un peu trop haut, et une piste son qui elle ne pète pas du tout

Editeur : Snapper
Durée totale : 1 h 13

(PCM. Vous avez bien lu)

Image        PAL

Sous-titres des cartons anglais (fr it... et pas terribles)
Bande-annonce (4 min. En fait un copier/coller des grandes scènes : inutile)

Une restauration pas toujours fine : les transitions entre les différentes sources sont hideuses et franches, et évidemment la qualité d'image est très mauvaise. Cependant quelques scènes s'en tirent admirablement pour un film vieux de cent ans.
Inqualifiable. Chez Spock's Beard c'était déjà très limite, là c'est impardonnable.
Peu d'action mais des tableaux qui ont peu perdu de leur force. Un sacré chantier qui s'est montré digne à la fois des grands premiers génies cinématographiques et du texte original de Dante.
Une bande-annonce totalement fausse (et inutile) et des sous-titres français et italiens (encore heureux !) qui sont truffés d'erreurs et même parfois de non-sens. Plus un livret assez vaporeux quant à la participation de Tangerine Dream à la genèse de la restauration.

L'enfer, c'est les autres, disait François Sartre (non, Jean-Paul, François c'est le frère aîné). Vision somme toute fort défendable, il suffit de se promener dans les couloirs de métro pour se rendre compte que dans l'échelle animalière, l'homo erectus a considérablement baissé depuis ce qu'il appelle paradoxalement son évolution. Le poète italien, précurseur et pratiquement jamais égalé, Dante Alighieri, en avait une vision toute autre. Une vision beaucoup plus restrictive, pensant que la plupart des pêchés qui composent le mal en nous vient, justement, de nous. Et Dante le héros - par "opposition" si tant qu'elle existât, à Dante le poète - fera un voyage en Enfer qui le mènera à un profond périple initiatique interne. Mais, et c'est là que Dante le poète fût d'un culot à nul autre pareil, cette vision cérébrale et mythique (au sens viscéral du terme) s'accompagne, comme dans tout voyage initiatique, d'un vrai périple, tangible, avec odeurs, sons, et visions. Des visions puissantes, hautement traumatisantes, et définitives. Des centaines d'années plus tard, La Divine Commedia reste un texte abscons mais référentiel, et qui, si l'on remplaçait les très (trop) nombreuses allusions aux "stars" de l'époque par des "pipole" pourris de notre siècle anémique, resterait parfaitement d'actualité. Tant et si bien que l'auteur de ces lignes (pas les louables, mais les médiocres que vous êtes en train de lire) avait travaillé sur un roman intitulé "La frégate d'Acheron". 36 15 super-blog j'te cause ma vie, mais fi ! ceux d'entre vous pour qui le nom d'Acheron n'évoque rien sont priés de lire L'Enfer (disponible dans TOUTES les librairies). Condition sine qua non pour continuer cette chronique. Et faites-moi confiance, si votre intérêt principal c'est de traquer les arnaques du DVD musical, ça vaut le coup de vous cultivationner pour continuater.
Revenons maintenant à ce qui nous préoccupe (c'est le cas de le dire) : Inferno, le film. 1911. C'était il y a longtemps. Presque cent ans. Dit comme ça, ça paraît dérisoire, car le DVD, les cinémathèques d'auteur et des chaînes comme Arte nous ont (ré-)habitués à apprécier les chefs-d'oeuvre d'un autre âge. Metropolis, Frankenstein, Le Kid, Nosferatu, de grands films éblouissants qui semblent tellement faire partie de notre culture générale qu'on les a assimilés. Sauf que nous parlons ici de 1911, pas 1922 ou 1927. A l'époque, la première guerre mondiale n'avait pas commencé. L'école pour tous n'était même pas au programme. Un simple rhume pouvait tuer un enfant en deux jours. Et le cinéma soufflait ses seize bougies. Un art à l'époque primitif. Onéreux, à cause de la vision démesurée des metteurs en scène qui avaient déjà un melon pas permis, mais également lucratif puisqu'ayant trouvé ses marques à travers le cirque itinérant qui était encore le spectacle public numéro un et en constituait l'une des attractions choc au même titre que la femme à barbe ou l'homme canon (personnellement, je préfère le contraire mais bon...). Et donc cet "art", le septième, si souvent galvaudé et si souvent ignoré par les mini-masses bienpensantes, n'en était qu'aux balbutiements : des concepts tels que l'amorce, le gros plan et le panoramique étaient à 99% inexistants et pour ainsi dire n'avaient pas encore été formellement inventés. Sauf que dans ce film de mille-neuf-cent-onze, à un moment, vous en avez.
Enorme budget, tournage pharaonique, qu'en reste-t-il à l'écran ? Pas des masses pour être honnête. Pas dans le sens Ben-Hur ou les Dix Commandements. L'argent ne se voit pas à l'écran de façon claire. Tous ces efforts ont plutôt été investis dans des trucages, des effets spéciaux et des costumes qui pour l'époque étaient absolument inédits. S'inspirant fortement des techniques de Georges Méliès mais en pervertissant son côté poétique, les concepteurs de Inferno ont voulu imprimer sur pellicule une vision quasiment au premier degré des descriptions de Dante. Sans auto-censure. Sans reculer. Voilà la principale raison des trois ans nécessaires à la complétion du projet : la mise en place de plans de fous, qui bien sûr paraissent terriblement datés aujourd'hui (notamment tout ce qui concerne les animaux fantastiques, dont le pauvre gros matou qui fait office de panthère), mais dont on ne peut qu'admirer le courage. La pluie de feu, Lucifer qui croque ses victimes, la traversée du Styx avec les remparts volcaniques en fusion de Dité dans le fond, et surtout la morbide et hypnotique ronde des défunts volants : rien ne vous sera épargné, dans un déluge de visions schizophrènes inspirées officiellement de Gustave Doré mais qui avec ces mouvements sporadiques et surréalistes ressemblent plus à du Dadaïsme sous ecstasy. On n'a aucune peine à comprendre pourquoi ce film a fait à l'époque un énorme carton : l'ambiance surréaliste intriguait les spectateurs qui tout en se distrayant avaient l'excuse de se cultiver par la même occasion, (re)découvrant un texte pratiquement sacré. Une frustration bien compréhensible s'emparera de vous lorsque vous découvrirez le nombre très élevé de cartons qui racontent l'histoire plutôt que vous la montrer, notamment le final où nos héros sont sensés grimper sur les poils de Lucifer, mais rappelez-vous : 1911. Soyons compréhensifs.
L'édition présentée ici est tout à la fois miraculeuse et stupéfiante. Miraculeuse, d'abord, car le film a été perdu un peu partout et récemment restauré. On a en effet pu reconstituer ce qui se rapproche le plus du montage final, en combinant les archives d'universités de Londres et de New-York. Pourquoi dans ces pays, et pourquoi ce pavé incontournable de la culture italienne n'était pas conservé à Rome, on n'osera pas poser la question. En tous cas, ladite restauration n'a pas dû être de tout repos, les différences d'image d'une seconde à l'autre étant particulièrement flagrantes : l'une des copies est gravement rayée, l'autre est plus propre mais moins bien définie. Dans les deux cas, ce n'est pas une restauration digne d'un Metropolis ou d'un Naissance d'une Nation : rien que le nombre impressionnant de points blancs, pourtant faciles à supprimer par ordinateur, montre que le travail n'a pas été de fourmi. Il est vrai que ce type de restauration se fait image par image, laborieusement et répétitivement, du moins si on ne traite pas le boulot par-dessus la jambe. Mais il y a un peu plus grave que l'état lamentable de ces copies, qui ont survécu à deux guerres et des dizaines de projections parfois à la sauvette : ladite restauration étant quand même un minimum importante (première fois depuis des dizaines d'années que l'on peut revoir ce film avec les bobines complètes et dans l'ordre), le producteur a inséré un générique de début assez long, un peu hors-sujet, et surtout qui ne met absolument pas dans l'ambiance. On a du mal à comprendre où le film commence exactement, ce qui est plutôt ennuyeux pour une édition qui se veut historique.
Fin de la partie cinéphile, passons maintenant à la raison pour laquelle ce film nous concerne. Pour donner encore plus d'importance à cette ressortie, et éviter la désertion totale que ne manque pas d'attirer la projection d'un film totalement muet (le silence total dans la salle ne faisant à l'époque que rajouter à la magie macabre du film), les producteurs y ont apposé une version un peu réduite d'Inferno, l'album de 2002 signé Tangerine Dream et qui est lui aussi une adaptation, musicale cette fois, du roman-poème de Dante (nos Berlinois favoris ayant cependant été beaucoup plus loin que la plupart des autres artistes en adaptant également les deux autres volumes de la trilogie). Scandale ! Honte ! Cabale ! Morbleu ! Crévindiou ! Bord-mer de monde à perle ! De la musique électronique par-dessus l'un des chefs-d'oeuvre du cinéma muet ? Le pari était risqué et a fait beaucoup jaser. Une fois n'est pas coutume, nous n'allons pas nous attarder sur le contenu musical de Inferno, car nous aurons prochainement l'occasion d'en parler plus en profondeur. Juste dire que malgré la présence de synthétiseurs, de boîtes à rythmes et de chant en anglais, la qualité artistique de l'album et son côté très introspectif n'est en rien sacrilège, déplacé ou pornographique. Certains grinceront fortement des dents, d'autres s'en réjouiront pleinement, une chose est sûre : cette longue mélopée plaintive peut effectivement aider à mieux entrer dans le film, à mieux s'imprégner de sa substantifique moelle.

Ou du moins, aurait pu aider. Si après le générique rajouté un autre détail n'avait pas achevé de laisser sur le visage du consommateur une grimace dubitative. Tangerine Dream, l'un des groupes les plus importants au monde en matière de son, en prime sur l'un de leurs tous meilleurs albums, et pour une musique onirique coloriant un film qui ne l'est pas moins, ayant besoin de plonger le spectateur en son coeur profond, de le happer tout entier. On frissonne de plaisir en lisant sur la jaquette le logo "5.1". On lâche un pathétique "ah ?!" lorsqu'on s'aperçoit qu'il ne s'agit que de PCM stéréo. Puis, subtilement, le doute s'installe. Le son est plutôt petit. Sans relief. Sans saveur. Et surtout sans l'ombre d'un atome de son sur nos petites enceintes arrières adorées. Normal : en réalité, la piste sonore est MONO. C'est la révélation la plus extraordinairement disgrâcieuse de l'année. Pourquoi ce mono ? Nous ne voyons aucune, strictement aucune raison. Si c'est pour garder le côté 'vieux film', d'une part il aurait mieux valu laisser le silence total, et ensuite pourquoi avoir marqué 5.1 sur la jaquette, bande de charlots ? Si c'est une erreur, elle n'est référencée nulle part sur notre bonne vieille toile, et elle est impardonnable. Si c'est un choix artistique, il est indéfendable. Dans tous les cas, celà ne fait que renforcer l'impression que malgré tous les efforts fournis par la production, ce DVD ne devrait pas devenir la copie de référence de ce film mythique. Alors, achat ou pas ? A vous de juger selon votre passion pour le cinéma ; en ce qui concerne le terme de "film musical", il faut avouer que l'idée était aussi alléchante que le résultat mitigé.


02-01-2007