Une Énorme anthologie d'un groupe unique, mythique, universel, très bien capté et avec des versions souvent supérieures aux originaux, et ce à tous les niveaux

Note globale


Quelques petits coups de mou (normal sur 8 heures), pas de 5.1, musique vraiment pas accessible (du tout), et puis 120 euros pour huit heures de live en stéréo, c'est un petit poil exagéré

Editeur : Seventh Records
Durée totale : 8 h 24
Epok I - 1 h 56
Epok II - 2 h 18
Epok III - 1 h 56
Epok IV - 2 h 14

(PCM)

Image        PAL

Rien à part deux titres avec angle unique sur la batterie.

On ne peut pas mettre moins vu le budget, le type de salle, la beauté des couleurs, la définition nickel des volumes 2 & 3, et sans oublier l'excellence des cadrages et la fluidité du montage. Du très beau travail.
Une musique si riche nécessitait un surround de fou, mais on ne va pas chipoter : la stéréo proposée est ultra-dynamique, d'une propreté à toute épreuve, d'une grande brillance (mettre du Dolby sur la batterie de Christian aurait été un crime), et d'une indéniable chaleur. Meilleur que le son de tous les albums studio, ça devrait vous donner une idée.
Normalement je ne devrais mettre "que" neuf, à cause des quelques longueurs et du relatif manque de titres entre 1978 et 1984. Mais bordos de shit, vous avez vu ce tracklisting de malades ? Sans compter qu'à l'époque, K.A. était à peine sorti et Emëhntëht pas du tout !
Juste un pauvre petit multi-angles (pas vraiment en plus) sur deux titres, histoire de profiter du jeu de Vander... honnêtement c'est inutile : pendant huit heures on ne regarde que ça. Ah, et un packaging du plus bel effet.

Eyjafjöll aura eu le mérite de nous le rappeler : on a vu souvent rejaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux. Et cette substance toxique, mortelle, indomptable et séculaire qu'est le Magma ne doit jamais être prise à la légère. Le lion blessé rugit moins mais sa patte devient mortelle : ainsi en est-il du groupe mené par le batteur / chanteur français Christian Vander. Formation phare et culte des années 70, Magma était en jachères depuis de nombreuses années, lorsque suite à la sortie de l'album K.A., le groupe recomposé pour l'occasion se permit une de ces folies réservées à un nombre unidigital de musiciens : réserver une salle de concert pendant un mois entier, en l'occurence le Triton (11bis rue du Coq Français, 93260 Les Lilas, parfois faut savoir faire de la pub) , pour y jouer un panorama de toute leur carrière sur 4 semaines. Un programme de malades, mais ça tombe bien, on reste cohérents sur ce coup-là.
Avant d'entrer dans les détails, j'en entends des énervés qui me supplient de leur décrire, une bonne fois pour toutes, ce qu'est la musique de Magma, vu qu'ils n'ont jamais eu le courage d'y jeter une oreille, apeurés par la longueur des titres et leurs consonnances bizarres. Il est vrai que Magma a été souvent catégorisé dans le rock progressif. Magma = Ange ? Absolument pas, on en est même très loin. On a aussi entendu parler de rock français. Magma = Triangle ? Pas le moins du monde. Et je ne parle pas des BB Brunes. Non, Magma se rapproche avant tout, et considérablement, du jazz, point à la ligne. Dans son utilisation des claviers, dans la place pivot que prend la batterie, dans ses expressions vocales héritées du scat. Mais si on veut vraiment entrer dans le petit jeu de la catégorisation, on dira surtout que Magma ressemble à du Magma.
Ils ont même créé à eux tout seul un style entier de musique : la Zeuhl. C'est dire à quel point la formation est identitaire, avec de longues mélopées chorales, un piano Rhodes ondulant et omniprésent, une batterie sans arrêt en contretemps, et des titres alternant implorations répétitives et cassures soudaines, sans oublier une basse très groovy mais dont le but est plus de briser les harmonies, de jeter le doute, plutôt que de faire tourner du popotin. Une musique difficile d'approche donc, dont le but ultime est d'approcher ces quelques minute de paroxysme au milieu ou à la fin de titres cyclopéens où les musiciens se retrouvent dans une parfaite osmose, maîtrise et folie, écoute de l'autre et dépassement de soi. Clairement faite pour être découverte en live, cette musique puissante est pourtant d'une complexité parfois effrayante. Heureusement, non seulement Vander est considéré unanimement comme un des meilleurs batteurs du monde, mais en malin renard qu'il est, il a recruté des acolytes à la hauteur.
La collection Mythes et Légendes se compose donc de 4 DVD, au packaging sobre et magnifique, chacun retraçant une Epok bien particulière du groupe. Et si vous comptez sur moi pour faire le coup du listing, vous devriez jouer au loto car c'est exactement ce qui va se passer. Du reste, comment appréhender autrement un tel mastodonte ? Ce sont huit heures de jazz furieux et de chorales endiablées qui sont présentées ici, pas moins. Le découpage en époques était la meilleure chose à faire, chaque DVD connaissant ainsi un passage qui surpasse les autres et montre Magma à son sommet, dans diverses situations. Mais les différences sont subtiles, car la musique composée par Vander est parfois monolithique et garde toujours son identité particulière. Même les DVD se ressemblent trait pour trait jusque dans la technique : image et son ne varient presque pas (et tant mieux).
C'est donc sur la minuscule scène du Triton, musiciens serrés et public en ébullition (quoi qu'extrêmement respectueux et discipliné), que débutent les hostilités avec un premier disque consacré à la genèse du Magma : ces éruptions volcaniques qui jettent des bouts de génie et de folie un peu dans tous les sens. Plus légère que par la suite, la musique est surtout centrée sur le jeu de Vander évidemment, mais aussi sur la basse et les cuivres. Cuivres qui ont bien du courage tant certaines parties, déjà à l'époque (et alors que Christian a 20 ans et quelques menues poussières), flirtent avec l'atonal. Ce qui n'empêche pas (caractéristique principale de Magma) quelques éclats de beauté brute, comme sur la partie centrale de Iss. Le groupe doit resté très soudé face à ces premières compositions qui misent plus sur l'énergie que sur l'écriture pure : Stoah est un bordel bouillonnant, Auraë est pleine de peps juvénile, Kobaïa, l'unique "single" du groupe, est acclamé par le public qui rend le titre carrément épique. Plus complexe, plus ambitieux, Theus Hamthaak est à lui seul un petit marathon qui montre pour la première fois, et pas la dernière, le talent inouï d'Emmanuel Borghi, véritable pilier du groupe, machine à Rhodes imperturbable.
Pour un premier DVD, il y a déjà du lourd. Inutile de dire que si vous n'aimez pas, la suite sera encore plus impénétrable, il ne s'agit ici que d'un hors-d'oeuvre. Et ce sont principalement les fans qui seront comblés par cette introduction, d'abord par la présence de très vieux morceaux, ensuite par celle de Klaus Basquiz, légendaire chanteur d'origine. 35 ans après, il faut avouer que son chant lyrique n'est plus toujours très juste, et peut manquer de pêche ; en revanche il excelle toujours dans les voix bizarres, les ultra-graves, sans compter l'humour. Histoire de bien présenter tout le monde, le DVD se finit sur un solo de basse à tomber par terre. Deux heures et déjà on ne compte plus les notes. Il est temps de passer aux choses sérieuses. Epok II, le Magma que "tout le monde" connaît. Et histoire de bien faire comprendre son propos, le groupe débute le concert avec non pas un mais deux pavés de plus de 40 minutes.
Cette fois pas de survivants ; c'est la grosse artillerie. Wurdah Itah et Mëkanik Destruktïw Kommandöh, rien que ça. Et pour couronner le tout, Vander a supprimé les parties de cuivres pour ne laisser quasiment qu'un trio piano / basse / batterie et les chanteurs. Le résultat est extraordinaire, mais inégal. Wurdah Itah est simplement exceptionnel. Montagne russe d'émotions aux parties mélodiques largement plus accessibles que sur le premier disque, Wurdah est avant tout un exercice de style pour le jeune Antoine Paganotti, qui chante pendant pratiquement 50 minutes non-stop. Mais comment peut-il apprendre une chanson aussi longue sans aucune erreur, faux langage en sus ? Mystère, mais il y a plus impressionnant encore : Emmanuel Borghil est là aussi le fondement du groupe, surtout qu'il n'y a même pas de guitare ! Son jeu de piano électrique est simplement magique et, associé au tourbillon Vander, donne dans l'expressivité la plus brute. Album le plus connu des Magma, ici joué en quasi-intégralité avec des choeurs omniprésents, Mëkanïk se montrera-t-il à la hauteur ?
Pas dans l'absolu. Outre la redondance de style bien compréhensible, Mëkanïk souffre de quelques longueurs et répétitions sur la fin. Plus intéressant, elle permet à un autre membre originel de revenir sur scène : le bassiste Jannick Top. Acclamé, apprécié par ses acolytes, et légende vivante de la basse en France, Top ne semble pourtant pas l'être (sic), et entre son groove, son solo de basse (auto-samplé, curieux !) et son adaptation de Bach, il délivre des parties qui manquent de cette indéfinissable classe qui éclabousse le jeu parfait de Philippe Bussonnet. Le jeunot n'a pas à rougir devant le maître, loin s'en faut. Cette relative déception passée, il faut rendre à César ce qui était à Alain Delon : James Mac Gaw, absent lors du premier titre, se venge en nous tapant un petit solo fumant qui n'est pas sans rappeler Frank Gambale. Final de cette soirée très copieuse, De Futura, plus fusion que jazz traditionnel, est un très grand moment, préfigurant le metal progressif, avec son ambiance apocalyptique extraordinaire. 1976 : les atrocités nazies n'avaient alors que 31 (sic) ans, autrement dit la veille au soir, et la peste rouge allait se friter avec la peste rayée avec les étoiles. Brrrrr....
Passer au troisième DVD pourrait faire peur puisqu'un autre rumsteack de 32 minutes l'introduit, mais n'ayez pas peur. Beaucoup plus mélodique encore, Köhntarkösz est ce qui chez Magma se rapprocherait le plus du "vrai rock progressif". Les ambiances sont plus massives, plus déterminées ; les harmonies sont moins tarabiscotées et la partie douce centrale est simplement magnifique. Même le jeu de guitare se rapproche beaucoup d'un Mike Oldfield... juste retour des choses ! Second claviériste invité et pas pour faire de la figuration, le légendaire Benoit Widemann en profite pour s'offrir un solo de Mini-Moog à l'ancienne, grand moment des quatre soirées qui fait penser à la géniale fluidité d'un George Duke. Quant au final, il est d'une intensité à donner des frissons. C'est composé et joué par des français, ça ? Vite, appelez Julie Zenatti !!!
La tendance est confirmée avec un Lihns de toute beauté, champêtre, optimiste. Christian nous lance une leçon de scat qui en devient presque émouvante : certes l'homme voue un culte sans bornes à John Coltrane, mais savez-vous à qui il me fait penser, lorsqu'il psalmodie ainsi des onomatopées penché sur son micro ? Physiquement comme vocalement, on croirait voir revenir à la vie le Petit Taureau Toulousain. Tout le reste du DVD continue dans cette découverte d'un Magma plus groovy, qui laisse plus le rythme charmer le corps que l'esprit. Et surtout, les instruments ne sont plus simplement un moyen d'exprimer son transport, mais deviennent de véritables objets à choyer et à utiliser dans leurs derniers retranchements. Mieux : pour les amateurs du Magma plus "classique", le groupe se permet de jouer ce qui sera dans les grandes lignes leur album studio sortant... trois ans plus tard ! Hhai, rafraîchissant, propose un festival de solos avec harmonies à la tierce et tout le bazar, et Zombies réussit à se rapprocher de l'univers de... Goblin (avec un tel titre !...). Si si, écoutez bien cette note sourde incessante, cette sépulcralité, et cette partie rythmique finale où l'on se demande comment fait Vander pour ne pas sombrer dans la folie...
La fin du troisième DVD laisse le spectateur, même occasionnel, même débutant, extatique. Après que Borghi ait essayé de rendre la monnaie de sa pièce à Widemann via un solo de... JP-8000 (Moog wins), on se demande comment le groupe peut encore trouver la force et le matériel nécessaire pour offrir un quatrième DVD. Ce sera pourtant le cas avec Epok IV qui tente de clôre la grande aventure Magma avec une belle surprise à la clef. Le début ressemble pourtant à un solde de tout compte : Vander revendique tous ses choix stylistiques, et leur donne vie sur scène : le jazz pur, les années 80, la mise au chant, les titres plus commerciaux, des textes en Français, tout y passe. Et tant mieux. Cela permet par exemple de redécouvrir le merveilleux The Night We Died : un titre de 1983, ce n'est pas assez, mais il aurait pu tout aussi bien ne pas l'inclure, réjouissons-nous donc.
Dans les grands moments d'Epok IV, outre cette décomplexion absolue, notons le passage d'Antoine Paganotti à la batterie. Dur de passer derrière le maître, même si le jeunot se débrouille ma foi fort bien. Une fois encore, c'est plutôt Christian qui attire toute l'attention. Il se remet au scat mais cette fois dans les grandes largeurs : un poil trop long, Zëss est cependant d'une intensité impressionnante. Il ne pense plus à lui, il ne pense plus comme lui : Vander DEVIENT Coltrane, mimant un instrument fantôme sur son micro qui subit ses assauts répétés. Le plus extravagant est lorsque l'on comprend que ce presque quart-d'heure de scat a été écrit, puisque peu à peu ses excentricités scattiques deviennent doublées par la guitare. D'ailleurs si son but était de tuer James MacGaw, il s'y prend de la bonne manière.
Un Otis propre à la controverse (pas sur ce site), et une Histoire est presque terminée. A bout de souffle, le spectateur attend un dernier titre. Et quel dernier titre. C'est le Rubycon de Magma, celui qui achèvera les trop faibles, celui qui fera mourir d'amour les fans ultimes. K.A., dans son intégralité de 50 minutes non-stop, avec deux pauvres petites minutes de répit au milieu - le reste n'est qu'un immense marathon rythmique où chaque seconde passante fait plus craindre pour la vie du batteur - sans rire. C'est un festival Vander tout en frisés insolents et en contretemps maniaques. Et là, impossible de reculer : soit comme pour votre serviteur ce sera un peu trop, la composition étant démesurément longue et par moments autoindulgente, soit vous sombrerez corps et âme et frissonnerez lorsque l'on atteint le point culminant, le point G de la musique Zeuhl. C'est un merveilleux cadeau pour les fans, un déni d'amour pour les autres : vous êtes dedans, ou dehors. Mais n'est-ce pas depuis toujours comme celà que fonctionne Magma ?
La reprise de Kobaïa avec tous les musiciens est un beau cadeau final, mettant fin à huit heures épuisantes mais exaltantes pour peu qu'on sache s'ouvrir au monde (celui de Magma évidemment). Mais plus beau finalement est le cadeau de ces quatre DVD. Enfin cadeau, c'est un bien grand mot, Seventh Records n'ayant pas attaché le prix avec des saucisses... Mais sachons reconnaître que le résultat en vaut la peine. Déjà, on regrettera le manque de 5.1, mais la piste stéréo, PCM s'il vous plaît, est d'une grande chaleur, et surtout d'une incroyable précision. Le moindre bruissement sur une cymbale, la moindre corde de basse effleurée, tout rejaillit glorieusement sur vos enceintes. Disons-le sans ambages : la plupart des titres renaissent, le son étant bien supérieur aux vinyles maigrelets d'époque. Son meilleur + interprétation de feu : les admirateurs de Magma peuvent se jeter sur les DVD sans hésitation.
Mais la plus grande surprise viendra de l'image. Le Triton, on l'a vu, est une petite salle, et les moyens visuels ont été très limités : quelques spots côté scène, peu de caméras côté salle. Et pourtant... qui dit petite salle dit plus grande attention au détail. Le résultat final est assez bluffant. L'image est globalement très belle, d'une précision colorimétrique à toute épreuve (difficile de croire que c'est du PAL), la définition est souvent nickel, mais en prime, les cadrages et le montage sont de très grande qualité. Visiblement les cadreurs, peu nombreux, se sont fait plaisir tout en respectant l'artiste. Du coup, ces "petits" DVD ont de quoi faire rougir bien des productions plus fortunées. Un élément supplémentaire qui fait de cette mini-collection un investissement fortement conseillé, même s'il est conseillé de voir avant si vos oreilles sont magmacompatibles.

Et désolé pour le ton sereinement chiant et la facilité de composition feignantine de cette chronique, mais il n'y avait pas beaucoup d'angles possibles pour s'attaquer à un tel colosse. Car soyons clairs : Mythes et Légendes est un titan. Testament généreux et glorieux d'un groupe unique, malgré quelques légères baisses de régime, il compose l'Essentiel de Magma, groupe qui s'il devait s'arrêter là laisserait à la postérité ces quatre galettes vouées à rester pour longtemps dans l'histoire des DVD musicaux. Et n'oubliez pas que Christian Vander est toujours en activité : alors... un volcan s'éteint, un être s'éveille ?


17-05-2010

10 mai / 4 juin 2005 - Le Triton (Les Lilas, France)


   Epok I
01. Malaria
02. Stoah
03. "Iss" Lanseï Doïa
04. Auraë
05. Kobaïa
06. Theusz Hamtaakh - Mvt I
07. Sowiloï
08. KMX B12

   Epok II
09. Wurdah Itah
10. Mëkanïk Destruktïw Kommandöh
11. Suite pour violoncelle n° 3, BWV 1009
12. Quadrivium
13. De Futura

   Epok III
14. Köhntarkösz
15. Lihns
16. Emëhntëht-Rê part 1
17. Rindoh
18. Emëhntëht-Rê part 2
19. Hhaï
20. Zombies
21. Nono
22. The last seven minutes

   Epok IV
23. Zëss
24. In a dream
25. The night we died
26. Otis
27. Ka (I / II / III)
28. Kobaïa


Christian Vander - Batterie, chant    
   Stella Vander - Chant, claviers, percussions
Rémi Dumoulin, Fabrice Theulllon, Hugues Mayot - Saxophone   
   Yannick Soccal - Saxophone, flûte
James Mac Gaw - Guitare, chant    
   Emmanuel Borghi, Frédéric d'Oelsnitz, Benoit Widemann - Claviers
Philippe Bussonnet, Jannick Top - Basse   
   Klaus Basquiz, Isabelle Feuillebois, Himiko Paganotti - Chant, percussions
Antoine Paganotti - Chant, batterie   
   Aymeric Avice - Trompette