Intégrité musicale hors du commun, voix de Lisa Gerrard absolument incroyable, son surround et bonus largement dignes de la légende

Note globale


Musicalement difficile à appréhender, et ce même si vous croyez savoir à peu près à quelle sauce vous allez être mangé

Editeur : SPV
Durée totale : 3 h 58

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Image        NTSC

Le petit monde de Klaus Schulze (61 min, 16/9 st uk)
Entrevue avec Steven Wilson (67 min, 16/9 non st)

Attention, c'est une note punitive, et pour deux raisons : la monochromatie baveuse, et la relative indolence de la réalisation (tout ce qui fait prout-prout sur des cadrans de vieilles TSF recyclées, ça nous intéresse, faut le filmer !). Mais rien ne vient heurter la sensibilité de l'auditeur, et si on ne comprend pas tout, au moins peut-on ressentir.
La précision en stéréo est déjà appréciable, mais celle du surround mérite son 10. Ce n'est pas du niveau des autres 10/10 de ce site, mais rappelez-vous les conditions : synthés en plein air programmés par un fou génial qui mélange ça à une voix pure sans trafic et un public de bqtqrds survoltés. 10/10, et on ne discute pas.
Bordos que c'est difficile de noter ça !!! C'est entre le super-préparé (les séquences ne tombent pas du ciel) et l'impro complète (la fin du premier titre qui fait pschit, le dernier morceau complètement bancal). Ce n'est pas une bonne introduction au monde de Klaus Schulze, mais c'est une bien avenante claque dans le museau.
Oui, je sais, il n'y a des sous-titres que sur la moitié. Mais vous n'avez pas vu l'autre moitié ! En fait Steven Wilson est en train de devenir meilleur en tant qu'invité de bonus qu'en tant que musicien. Tout amateur de bonne musique parlant un anglais correct se doit de dévorer le duel au sommet qui constitue la cerise sur ce Kügelhöfh goûtu.

La conception de l'art est aussi fragile que malléable. Qu'est-ce qui est une oeuvre d'art, qu'est-ce qui ne l'est pas ? Prenez Picasso : un certain nombre de gens, dont votre humble serviteur (NDKaworu : Qui est incapable de dessiner un bonhomme avec deux ronds) trouve que non, désolé, c'est laid et incongru. Pourtant, même si je ne comprends pas comment cela puisse être une étape importante dans l'histoire de l'art, au moins puis-je l'accepter comme un fait établi. Plus délicat : le petit bonhomme qui a chié dans des boîtes de corned beef et les a revendues en l'état. Est-ce de l'art ? A mon sens, et c'est hautement discutable, oui. A partir du moment où ça s'est vendu. Curieux, non ? Je parle de l'art comme de l'artisanat. Mais si ces merdes (au sens sale comme figuré) ne s'étaient pas vendues, personne n'aurait considéré ce bidule comme de l'art. Et vous n'en auriez jamais entendu parler. Si on étend ce questionnement à tous les arts existants, la musique est aussi concernée : prenez la musique électronique. Bien des gens pensent que ce n'est pas de la musique. Beaucoup même trouvent que Tangerine Dream et Klaus Schulze, ces deux Panzer Berlinois, font combat mutuel : des albums interminables qui font ouinnnnaaaawayyyyyyyouiaaagnooooôooo pendant cinquante quatre heures. Chiant, froid, nul. Prétentieux, vide, et en aucun cas de l'art.
Pourtant, dans les faits rien n'est plus faux. TDream a sorti à tout casser trois albums répondant à cette description, le reste étant définitivement plus rock. Prenant une voie alternative, Klaus Schulze répond déjà plus aux critères, mais refusera catégoriquement l'appellation plus politiquement correcte de 'new age'. A raison : la new age est faite pour se sentir bien, relaxé, ce qui n'est pas toujours le cas chez notre jovial cousin Germain, préférant les accords mineurs et les modulations hésitantes, macabres. Reste que les quolibets n'ont pas empêché les deux musiciens de mener de brillantes carrières, et le soir du 18 juillet 2008, clôturant le glorieux festival Night of the Prog, voilà que Froese et Schulze allaient se succéder sur la même scène ! L'occasion pour Tangerine de sortir encore un DVD, mais pour Klaus le solitaire, de concocter son tout premier officiel. A la tombée du jour, Edgar et ses disciples donnèrent donc un concert tout en fureur, guitares acérées, fumigènes, lasers, batteries claquantes, tubes, le tout devant un public relativement réveillé. Et tandis que le crépuscule envahit la plaine du Lorelei, c'est au tour de K.S. de se frotter à la foule.
Rarement deux concerts n'auront été aussi différents. Effacé, timide, d'une extrême humilité, Klaus comme à l'accoutumée se présente seul, littéralement entouré de synthétiseurs, donnant une prestation à mi-chemin entre le DJing (il pilote des séquences entières par ordinateur) et le live, se réservant pour les solos. La musique ? Elle est très lente, rythmes endiablés ou pas. Tout se fait dans la finesse, dans cet amusement à prendre son temps au maximum pour développer les ambiances, une séquence ne chassant jamais une autre, tout au plus se greffant sur le canevas sonore. Au milieu de ses fabuleuses machines, le visage concentré malgré son sourire poupin, Schulze improvise sans faire d'étincelles, sans racolage. Il se concentre sur quelques sons éthérés, parfois noyés dans le mix, et jamais au véritable premier plan. Ce qui lui permet d'essayer des choses, de s'aventurer là où lui-même ne pensait pas forcément aller, quitte à faire des fausses notes franches et longues. Oubliez les solos de Moog à la Emerson, Schulze est un fan du pad, un adorateur de ce qui se ressent plus que ne s'entend. Il a beau être aidé à 95% par des machines, il reste naïf et franc dans son approche musicale, d'un bout à l'autre, acceptant même les échecs comme sur le dernier titre où, la fatigue aidant, il ne se montre franchement pas très inspiré. Peu importe, son enthousiasme reste intact ; il suffit de le voir se faufiler comme un gosse derrière sa partenaire, du genre "elle m'a pas vu".
Alors c'est évident qu'un tel minimalisme musical, qu'une telle approche somme toute très froide, hermétique pour tout dire, peut facilement rebuter l'auditeur moyen. Ce DVD, malgré toutes ses qualités, ne sera pas la porte d'entrée idéale pour découvrir l'univers de Papa Schulze, pas plus que débuter par l'album Blackdance. Néanmoins, un élément d'humanité vient hisser ce disque vers des sommets encore inexplorés. Une voix, celle de Lisa Gerrard. Ceratins la connaissent déjà pour être la sirène de Dead Can Dance, d'autres encore pour sa contribution à la musique du film Gladiator. Une sacrée voix, donc. En vérité, LA voix. D'une pureté incroyable, d'une expressivité intense et naturelle, la voix de Lisa, derrière des séquenceurs ou accompagnée d'un simple pad effacé, porte jusqu'aux nues, dans les moindres détails, la complexité troublante du psyché humain. Comme une voix primitive, Ancienne, mais avec la maîtrise totale du ton. Curieusement, les deux musiciens, déjà si différents, ne se regardent pas une seule fois de tout le concert (embrassades mises à part). Ils sont chacun dans leur monde, s'exprimant du fond de leur coeur tout en gardant une oreille sur ce que fait l'autre. Une symbiose, une fusion contre nature mais qui donne à cette soirée un cachet de fragilité éphémère. Et le tout transfiguré par le public. Oubliez la bande à Edgar, les fans de Klaus Schulze sont survoltés, piaillant à qui mieux-mieux, encourageant leur idole pendant un solo, plaisantant avec lui, applaudissant au moindre changement de filtre passe-bas, un vrai public de punk-rock.
Musicalement, le bilan sera donc très difficile à établir. Plus que dans la très grande majorité des DVD chroniqués ici, tout sera affaire d'approche et d'affinités personnelles. Le concert plaira plus aux amateurs de techno, le style de Klaus ayant donné quasi-naissance à ce mouvement (d'où la présence de cette page dans notre toute petite colonne Musiques Electroniques). Les amateurs de prouesses vocales seront également aux anges, bien que la diaphane Lisa ne pratique pas du tout l'art bien établi du bel canto. Mais si plus généralement vous aimez les bons DVDs musicaux, restez un peu, SPV a bien fait son boulot. Le duo habituel, technique + bonus, a été choyé. D'abord, le concert. L'image est tout sauf spectaculaire : intimiste, très sombre, avec des gros plans pas encore assez intrusifs, et trop peu d'étalage de technique (les écrans des synthés sont parfois aussi intéressants que les doigts qui les manipulent, vous savez !). Mais une définition chaude, une réalisation parfaitement sobre. Le son va un cran plus loin. La stéréo est aussi propre et détaillée que faire se peut avec un concert de machines + voix en plein air.
Mais c'est surtout le son surround qui va mettre à genoux les Schulzeux. De manière inattendue, son ingénieur du son a réussi l'impossible : mixer un concert entier de Klaus en vrai 5.1. Ce n'est pas aussi expressif qu'un Oxygene 2007 ou qu'un A Broken Frame par exemple, mais étant donné le matériau de base et les conditions, il faut féliciter le résultat final, enveloppant, fin, et disons-le totalement indispensable si vous voulez vous immerger complètement dans le concert. Quel son ! Et profitez-en bien, de ce remix. Parce que c'est officiel : on n'aura jamais de version 5.1 des albums studio de Klaus Schulze. Comment le sait-on ? De par sa propre bouche. Car le concert est livré avec un second DVD, et icelui ne fait pas dans le vaporeux.
D'abord, vous avez une heure de reportage "sur le vif" avec Klaus qui mixe et monte le DVD aux studios Real World de Peter Gabriel. L'occasion de visiter ces studios, d'apprécier l'humour bon enfant de K.S., de l'entendre discuter musique (ou pas), le tout en allemand bien sûr mais sous-titré anglais. Si ce documentaire n'est pas indispensable, il est sympathique, passe comme une lettre à la poste, et prépare à la suite puisque vient lui rendre visite aux studios un certain Steven Wilson. S'ensuivent 70 minutes de conversation entre l'ex-batteur de Tangerine Dream et l'actuel (NDKaworu : LOL) leader de Porcupine Tree. Une conversation pointue et hautement jouissive. Les deux hommes dressent un constat effrayant sur la musique actuelle, à travers des anecdotes entre le drôle et le pathétique (Universal s'en prend plein la gueule : "notre label ne correspond pas à votre genre de musique"... je vous garde la surprise de la chute, incroyable !).

Et ils parlent de tout : de la mode des presets et de l'influence du Roland D-50, de la personnalité des musiciens (Wilson qui adule The Police, Schulze qui avoue adorer Rubycon et Ricochet), sans compter les souvenirs de Papy Klaus. Et en particulier une phrase : "on s'est dit OK, Edgar, tu prends l'Amérique, et moi je garde l'Europe". Une phrase qui ne va pas manquer de faire couler de l'encre ! On rajoutera un élément important : certes l'interview n'est pas sous-titrée, mais pour une fois, Steven Wilson parle très intelligiblement, obligé qu'il est de se calmer pour se faire comprendre d'un Klaus à l'accent sifflant et délicieusement d'outre-Rhin. Tout amateur anglophile de musique sera ainsi capable - et prié - de regarder cette rencontre fascinante entre deux musiciens plus cérébraux que physiques. SPV a donc mis le paquet pour le premier DVD live du monstre sacré, et nous ne pouvons qu'applaudir tant le résultat que les moyens mis en oeuvre. Disque de démo mais au contenu très hermétique, cet Or du Rhin semble commercialement le cul entre deux chaises ; gageons que ceux d'entre vous ayant un penchant pour les expériences en tous genres sauront apprécier de plonger plusieurs heures durant dans cet univers qui pourra paraître idiot, vide, nul, mais - et c'est aussi un fait établi - à nul autre pareil.


29-04-2010


18 juillet 2008 - Loreley (Allemagne)


01. Alberich
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Klaus Schulze - Claviers   
   Lisa Gerrard - Chant